Au lendemain des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’effervescence d’un nouvel espoir à gauche

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Article 12 de la Constitution :

« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. »

 

Ce dimanche 9 juin 2024, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale en vertu de l’article 12 de la constitution, à la suite de la défaite historique de son camp aux élections européennes et à la victoire écrasante du Rassemblement National (RN). Cette décision a été annoncée lors d’une allocution prenant place à peine une heure après les premiers résultats des élections européennes.

 

À quel point cette décision est-elle inédite ?

L’article 12 de la constitution a été invoqué 6 fois au cours de la 5ème République. Charles de Gaulle l’utilise 2 fois en 1962, puis en 1968 (pour sortir de la crise qui agite le pays) et François Mitterrand l’utilise également 2 fois, en 1981 et 1988 (pour avoir une majorité à l’assemblée, alors à droite). Ces deux fois, elles sont en faveur du camp présidentiel. Cependant, en 1997, Jacques Chirac décide d’en user afin de s’assurer l’accord des Français et contre ses attentes, il est désavoué et la gauche remporte les élections, entrainant la deuxième période de cohabitation de la 5ème République, avec comme premier ministre Lionel Jospin.

Cette défaite couplée à l’alignement des élections présidentielles et législatives avec la mise en place du quinquennat a rendu l’utilisation de l’article 12 à la fois crainte et inutile.


Pourtant, en ce dimanche 9 juin 2024, c’est par l’usage de ce même article qu’Emmanuel Macron a répondu à la défaite de son camp aux élections européennes ayant eu lieu le même jour, le RN atteignant 31,7% des suffrages contre seulement 14,6% pour Renaissance. Si cette décision a été une surprise, c’est notamment car elle semble tenir du coup de poker en prenant en compte le faible score de la liste portée par Valérie Hayer aux européennes, ainsi que le mécontentement qu’ont manifesté de nombreux Français depuis le début de ce deuxième mandat : crise de la réforme des retraites, prédominance des thèmes de l’extrême droite notamment. C’est la première fois que cet article est utilisé alors que le camp présidentiel vient d’essuyer une défaite électorale.

 

L’extrême droite grande gagnante des élections européennes semble alors avantagée par cette décision, le président du RN Jordan Bardella ayant même mentionné la volonté que le Président dissolve l’Assemblée nationale avant que celui-ci ne l’annonce.

 

Pourtant, c’est ouvertement contre cette dernière que le Président a annoncé se dresser avec cette décision, désignant l’extrême droite comme « [ceux qui] se sont opposés à tant d'avancées permises par notre Europe… », mais également pointant du doigt sa montée comme « […] un danger pour notre nation, mais aussi pour notre Europe […] ».
Il semble cependant également avoir mesuré le désaveu des Français à son égard, l’extrême droite rassemblant presque 40% des suffrages exprimés et la gauche plus de 30%, face à un score faible de son parti malgré sa deuxième place. Il affirme donc dans la même allocution « […] j’ai entendu votre message, vos préoccupations […] », et le choix de la dissolution apparait alors également comme un choix démocratique qui revient à laisser au peuple français le choix de son orientation et un retour du pouvoir entre ses mains par les urnes.

Au Figaro, le Président a également annoncé qu’il avait pris cette décision afin de mettre fin au « désordre » à l’Assemblée Nationale, pointant du doigt les actions des députés de LFI notamment qui avaient brandi des drapeaux de la Palestine en soutien au peuple victime d’un génocide. Il a aussi dénoncé l’impossibilité d’obtenir une majorité, ce qui déstabilisait le pays. Le Président semble également penser que cette campagne éclair va permettre de montrer l’incapacité du RN à gouverner, visant probablement dans le même temps l’affaiblissement du parti en prévision de 2027, celui-ci se targuant notamment de n’avoir jamais eu la possibilité de démontrer son efficacité au pouvoir.

Pourtant, il est simple d’observer que si le président a décidé cette dissolution, c’est aussi dans le but de ne pas être la cible d’une motion de censure. En effet, selon l’article 49 de la constitution, “L'Assemblée nationale [peut mettre] en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure”, ce qui, en cas de majorité de “oui” à l’Assemblée engage la démission du gouvernement. Si l’absence d’une majorité absolue des forces d’opposition permettait au Président de s’en garder, sa défaite aux élections rendait la possibilité de l’adoption de cette motion plus tangible. Cela explique aussi le timing choisi pour cette allocution (moins d’une heure après les premiers résultats), qui a permis au président de concentrer les pensées sur sa décision plutôt que sur la défaite de son camp. 

 

Cependant, des critiques apparaissent sur le choix d’une dissolution immédiate et d’élections dans le plus court délai possible. Tout d’abord, elle ne laisse pas le temps nécessaire à une réelle campagne et à une organisation des oppositions. Ensuite, ce choix d’une période où une grande partie des Français ne sera pas présente pour se rendre aux urnes encourage l’abstention (malgré la procédure de procuration). Cela paraît donc encourager les forces déjà en place comme le camp présidentiel et le RN. Au contraire, la gauche part divisée par les élections européennes et le déchirement de la NUPES, notamment sur la question de l’attaque sur Gaza par l’armée Israélienne. Cela s’est observé lors de la campagne récente qui a vu notamment LFI s’opposer violemment au PS de Raphaël Glucksmann, ainsi qu’Europe Écologie parvenir avec difficulté à obtenir les 5% nécessaires quand le PCF n’obtient lui aucun député au parlement européen. 

 

Les prévisions pour ces élections qui prendront place les 30 juin et 7 juillet sont donc aujourd’hui incertaines.

Le parti présidentiel pourrait s’affirmer à nouveau, seul ou grâce à des alliances lui conférant une majorité relative, comme E. Macron semble le demander aux électeurs, affirmant « ma seule ambition [est] d'être utile à notre pays […] » et rappelant son apparente objectivité permise par sa position de seul candidat ne pouvant se représenter en 2027. Le Président ne prend donc pas cette décision en prévoyant une défaite mais en envisageant la victoire. Malgré la défaillance démocratique que cela représenterait, il compte sur une victoire de son camp par seule peur d’une montée de l’extrême droite, en se présentant encore une fois comme seule alternative, le « moi ou le chaos ». Lors d’une conférence de presse tenue ce mercredi 12 juin, il a ainsi annoncé combattre les deux extrêmes, mettant au même niveau l’extrême droite et LFI, qualifiant ces derniers d’antisémites. Dans la même conférence, il cherche à tendre des perches à l'extrême droite en reprenant les termes qui lui sont chers, notamment la sécurité et l'immigration. 

Pourtant, cette situation pourrait également ne pas se reproduire, au vu des dernières élections. L’extrême-droite avec le RN pourrait ainsi remporter ces élections, Marine le Pen ayant affirmé la capacité et la volonté de son parti à diriger le pays, J. Bardella étant désigné comme candidat à Matignon au poste de premier ministre en cas de victoire de son parti. De plus, certains membres du parti conservateur Les Républicains, notamment son président Éric Ciotti, ont annoncé soutenir le RN aux élections législatives. Ce dernier a cependant été démis de ses fonctions après cette annonce dans la confusion la plus totale au sein des Républicains. Cette prise de position montre une normalisation de l’extrême droite qui voit des rapprochements et l’union des droites sous sa bannière se concrétiser. Un rapprochement de fait déjà annoncé par la campagne de François Xavier Bellamy marquée par les thèmes chers à l’extrême droite, l’immigration et la peur de l’Étranger notamment. Cependant, J. Bardella a déjà déçu ses électeurs en remettant en question l'annulation de la réforme des retraites en cas d'arrivée à Matignon, annonçant déjà l'orientation libérale et marquée dans une droite "classique" de l'économie du RN. 

À l’opposé de l’échiquier politique, les différents partis de gauche ont été enjoints par de nombreux électeurs, sur les réseaux sociaux comme lors de rassemblements, et par des élus, à s’unir comme en 2022 et présenter dans chaque circonscription un candidat unique. Le soir du lundi 10 juin, ce vœu a été entendu et les dirigeants des Verts, du PCF, du PS et de LFI, qui ont annoncé la création d’un nouveau Front Populaire, en référence à l’union des gauches qui avait remporté les élections législatives en 1936. Malgré l’effroi d’une telle victoire de l’extrême-droite aux élections européennes, la gauche voit ainsi dans ces élections une possibilité de représenter l’alternative face à elle avec l’affaiblissement du camp présidentiel qui occupait jusque-là cette place. François Ruffin, ex-député de la Somme pour LFI semble au centre de cette nouvelle alliance dont il est en partie à l’origine.

 

Une chose apparaît ainsi certaine : l’apparent blocage politique ressenti par certains ces dernières années est bousculé par la décision prise par le Président de la République et l’effervescence des espoirs est engagée, de tous côtés politiques. Ces derniers jours, ce sont les multiples rassemblements spontanés des partisans de la gauche qui ont illustré leur indignation. Indignation face à la victoire d’un parti dont la dédiabolisation atteint ici son paroxysme, mais aussi espoir d’une victoire d’un bloc des gauches fort, que sa semi-défaite en 2022 avait terni.

 

Aurèle Tremblay