Comment le Président de la Répubique a-til fait un usage mensonger du terme d’ “extrême” ?

Depuis plusieurs années, mais plus particulièrement depuis le 9 juin 2024 et les réactions causées par la dissolution de l’Assemblée nationale, des propos très divers peuvent être entendus au sujet du terme d’« extrême » qualifiant des partis politiques. Nous revenons aujourd’hui sur l’usage problématique de ce terme, notamment dans la conférence de presse du Président de la République du 13 juin 2024.

 

Le terme d’extrême dans son sens général est défini par le Larousse comme        «[quelque chose] qui dépasse les limites ordinaires, qui est très éloigné du juste milieu, de la moyenne ».
En politique, il est utilisé pour désigner les partis qui, à droite comme à gauche, cherchent à faire appliquer leurs idées de manière radicale et souvent sans compromis. Cette vision assez floue est souvent mal vue par une majorité de la population et les partis cherchent à ne pas être désignés comme tel afin de ne pas éloigner des électeurs réticents à voter pour un tel parti.

Pourtant, aujourd’hui, les « extrêmes » sont de plus en plus présents dans la politique française mais plus généralement européenne et même mondiale, avec la victoire de Giorgia Meloni en Italie ou de Narendra Modi en Inde.
En France, le cas de l’actuel Rassemblement national (RN) est caractéristique de l’évolution la vision des « extrêmes ». En 2002, alors qu’il est encore le Front National, le parti classé à l’extrême droite atteint contre toute attente le second tour des élections présidentielles, avec son candidat et fondateur Jean Marie le Pen. Cette situation cause de fortes réactions à droite comme à gauche, et Jacques Chirac, candidat de la droite ayant atteint le second tour refuse même le débat d’entre-deux tours, affirmant : « il n'y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible [avec l’extrême droite]. » Cette politique de “barrage” à l’extrême droite mène à la défaite du RN et à la victoire de Jacques Chirac, emportant plus de 82% des suffrages. 

 

Aujourd’hui, le RN est le premier parti français, ayant obtenu 33,9% des suffrages exprimés au second tour des présidentielles en 2017, et 41,5% en 2022. C’est la présence de cette force d’extrême droite qui a permis à Emmanuel Macron d’emporter en 2022 la victoire, malgré son éloignement d’une partie des Français, par la répétition du vote “barrage”. Pourtant, ce 9 juin 2024, les résultats des élections européennes ont donné au RN plus du double des suffrages obtenus par la liste de la majorité présidentielle, menée par Valérie Hayer. Il s’agit de la plus grande défaite électorale qu’un camp présidentiel a pu subir pendant son mandat. C’est cette défaite qui a poussé en partie le Président à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer des élections législatives moins d’un mois après. Dans ce cadre de campagne éclair pour les législatives, les sondages donnent encore une fois le RN, actuel premier parti de France, victorieux, comptabilisant environ 35% des intentions de vote selon un sondage de l’IFOP du 14 juin.

 

Pourtant, le RN n’est pas la seule force politique qualifiée d’« extrême ».  À gauche, c’est La France Insoumise (LFI), qui se voit désignée comme telle. Ses résultats en forte hausse ces dernières années et sa place prédominante à gauche participent de ce que plusieurs ont pu appeler ”la montée des extrêmes”, de chaque côté du spectre politique.

 

Revenons sur la dernière conférence de presse du Président. Dans celle-ci, Emmanuel Macron n’a cessé de se présenter comme le représentant d’une politique modérée, dernier rempart de la République et de la démocratie face au danger des « extrêmes ». En effet, face à la prédominance du RN et à la création rapide du nouveau Front Populaire, intégrant LFI, il cherche à fédérer en agitant la peur de ce terme.

Cette position s’inscrit dans la stratégie qu’il a mené depuis plusieurs années, et que l’on peut réduire à l’expression « moi ou le chaos ». Ici, ce chaos est représenté, à droite par le RN, dont le président critique le racisme et la volonté de limiter les libertés, de la presse notamment. À gauche, c’est LFI qui est assimilée au même degré que le RN aux extrêmes. Elle est critiquée pour les « troubles » causés au parlement, notamment par son soutien au peuple palestinien s’illustrant par des drapeaux brandis dans l’hémicycle, et est accusée d’antisémitisme.

 

Il paraît ici nécessaire de revenir sur cette accusation, malgré la difficulté du sujet abordé. L’antisémitisme est défini par le Larousse comme « [la] doctrine ou [l’] attitude systématique de ceux qui sont hostiles aux juifs ». Ces accusations ont pour fondement les prises de position du mouvement à la suite de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 sur la population israélienne. En effet, les représentants de LFi ont à plusieurs reprises entretenu une ambiguïté coupable dans leurs déclarations, à commencer par leur premier communiqué de presse à ce sujet qui avait réduit le massacre à « [une] offensive armée de forces palestiniennes. Sans comporter de caractère clairement antisémite, cette ambiguïté entretenue dans un moment de montée de l’antisémitisme en France est problématique. Il faut cependant prendre en compte les évolutions de leur parole sur ce sujet ainsi que son inscription dans une critique de la répression génocidaire menée par Israël contre la population gazaouie qu’ils ont été les seuls à porter.
De plus, ces prises de position ne sont en aucun cas inscrites dans la politique de LFI, qui n’a jamais proposé de mesure au caractère antisémite. Ainsi, l’assimilation de ce parti et à fortiori du nouveau Front Populaire à l’antisémitisme, relève d’une accusation infondée et du raccourci, voire du mensonge politique.

 

Cela est d’autant plus dangereux que le Président omet ici l’antisémitisme du RN, qui a été effacé par un « polissage » ces dernières années, favorisé par les médias et la majorité présidentielle qui se sont appliqués à le faire oublier. Pourtant, ce parti fondé par un Waffen SS n’a jamais pris la peine de s’éloigner de ce passé, Jordan Bardella n’a pas voulu reconnaitre l’antisémitisme de Jean Marie le Pen, pourtant condamné à de nombreuses reprises, et Marine le Pen a multiplié les discours y faisant allusion. Il est également nécessaire de rappeler les positions assumées de certains élus du parti, comme le député Frédéric Boccalletti, ancien libraire ayant présenté des œuvres néo nazies et négationnistes, et ayant réédité Charles Maurras, penseur de l’antisémitisme français.

Il convient néanmoins de revenir sur la qualification d’« extrêmes » de ces divers partis. En 2023, dans la continuité d’une volonté de « polissage » de son image, le RN demande au Conseil d’État de supprimer son affiliation par le ministère de l’Intérieur, dans une circulaire, au groupe « extrême droite ». En effet, le parti cherche aujourd’hui à changer l’image qu’il peut avoir, par une communication très contrôlée notamment. La mise en avant de J. Bardella s’inscrit dans cette politique, valorisé pour son jeune âge et son origine de Saint-Denis (malgré une mystification de ce passé, mise à découvert dans un article du magazine du Monde du 2 juin 2024).


Pour autant, ce polissage de façade n’altère en rien le rattachement du RN à cette famille politique. L’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite, la définit par son adhésion à un projet organiciste - la volonté de régénérer la société comme un être vivant - et à la « refondation » des relations internationales. On peut aussi lui associer le thème de la décadence de la société ou l’utilisation d’un agent étranger comme bouc émissaire. Ainsi, même s’il se garde en apparence d’être raciste, antisémite ou islamophobe, le RN répond parfaitement à cette définition et peut, de fait, être associé à l’extrême droite. Il est affilié au courant du « néo-populisme », une évolution du national-populisme, qui affirme défendre les libertés et les minorités face à l’islamisme importé par l’immigration, comme l’explique Nicolas Lebourg au Monde en 2021.
Ainsi, la demande faite au Conseil d’État a, pour toutes ces raisons, été rejetée sur décision de la deuxième chambre, le 11 mars 2024 : « La circulaire attaquée ne méconnaît pas le principe de sincérité du scrutin […] et n'est pas entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation. ».

 

De plus, cette décision apporte également une précision sur l’autre côté du champ politique. En effet, il y est indiqué « [La circulaire] ne méconnaît pas […] le principe d'égalité en […] attribuant la nuance " Gauche " aux formations politiques " Parti communiste français " et " La France insoumise ". ». Ainsi, les deux partis nommés ci-dessus ne peuvent être qualifiés d’« extrême gauche », définie en France par son espoir de victoire par des moyens non conventionnels, ainsi que son opposition au capitalisme et à la gauche « institutionnelle ». Ils sont davantage des mouvements de gauche « réformistes », qui souhaitent une refonte du système afin d’y inscrire plus d’égalité par une fin du modèle de classe actuel, critiqué notamment par les penseurs du communisme. La volonté de LFI de placer un de leurs membres au poste de Premier Ministre étant un moyen tout ce qu’il y a de plus conventionnel d’obtenir le pouvoir, le parti ne peut être affilié à l’extrême gauche telle qu’on vient de la définir. Ce n’est pas le cas des mouvements trotskistes et du NPA, qui, même s’il participe aux élections, valorise l’action des militants lors des diverses manifestations et rassemblements.

 

Ainsi, il faut reconnaître que si la “droitisation” du champ politique a amené à une considération de plus en plus critique des mouvements de la gauche réformiste et radicale, son rattachement au terme « extrême » est une erreur. Cependant, si elle est inscrite dans les mentalités, c’est parce que le discours global a assimilé ces mouvances aux extrêmes de manière mensongère.
Dans le cas de la conférence du Président de la République, LFI et le nouveau Front Populaire sont attaqués à plusieurs reprises et placés au même plan que le RN par calcul politique de la part du camp présidentiel, qui tente de diaboliser la gauche dans l’espoir de maintenir sa majorité. Ce calcul apparaît à la fois dangereux, donnant au RN la possibilité d’obtenir le pouvoir, et diffamant.

Cette question des extrêmes illustre l’importance des mots et le poids et le danger que ceux-ci peuvent porter. La décision du Président de la République de s’adresser aux Français en mentant sur divers sujets relève d’une défaillance démocratique qui s’inscrit dans un projet visant à servir son intérêt personnel plutôt que de se mettre au service du peuple. Elle est d’ailleurs typique d’une période où se multiplient les propos mensongers relayés par les médias. Le refus, masqué ou non, de certains politiques de répondre de leurs actes, comme la porte-parole du gouvernement Prisca Thévenot, interrogée au sujet d’une photo postée aux côtés d’un soutien de l’armée israélienne, est aussi une illustration de ces défaillances.

Il convient ainsi de porter un regard toujours plus critique sur chaque information délivrée et de mesurer chaque propos entendu, quelles qu’en soient les sources, notamment avec la privatisation toujours plus grande des médias, qui provoque de nombreux conflits d’intérêt poussant à remettre en cause leur objectivité. 

 

Aurèle Tremblay