Leon Deffontaines : "Refonder une Europe qui respecte la souveraineté des peuples "
À 27 ans, le jeune porte-parole du Parti Communiste français est chef de file pour les élections européennes à la suite d'une élection interne au parti. Il a accepté de nous exposer dans cet entretien sa vision actuelle de la politique européenne et les ambitions qu'il porte sur ce sujet avec le PCF.
Léon Deffontaines, le 26 aout 2023, à l'université d'été du PCF. @Julien Jaulin/hanslucas
Quel a été votre parcours jusqu'au PCF et en son sein ?
Je suis né dans une famille peu politisée et partisane mais plutôt placée à gauche et votant à toutes les élections. En 2012, avec l’élection de François Hollande, la victoire de la gauche nous a réjoui, mais nous avons été vite désenchantés par sa politique austéritaire qui n’est pas une politique de gauche. C’est là qu’a commencé ma politisation.
J’ai alors 17 ans et avec des amis je vais à ma première manifestation, à Amiens. J'y rencontre des jeunes communistes, qui nous intègrent à leur mouvement, auquel j’adhère vite, y trouvant un espace d’expression de ma voix en tant que jeune.
C’est la ville d’Amiens qui m’a façonné : une ville très ouvrière dont la lutte pour le maintien du tissu industriel a marqué ma jeunesse, avec la fermeture du principal employeur, l’usine Goodyear. J’ai vu l’impact de ces décisions sur des familles ne possédant que leur force de travail, ce qui a forgé mon engagement sur la défense des travailleurs. J’ai rejoint les Jeunes Communistes en 2013 et en suis vite devenu un cadre puis, en 2016, le secrétaire fédéral. En 2019, alors secrétaire général de la JC (Jeunesse Communiste), j’ai eu pour ambition de m’adresser à toutes les jeunesses, y compris celles non politisées, notamment au sein des lycées professionnels. Sous ma direction, la JC a vu ses adhésions multipliées par 4. Pendant la candidature de Fabien Roussel j’ai été son porte parole et il m’a poussé à être celui du PCF puis chef de file des élections européennes avec deux idées : parler à une diversité de la population en remettant le travail au centre des questions et faire émerger de nouvelles têtes politiques.
Après la défaite de la NUPES aux élections législatives en 2022, qu’est-ce qui pousse le PCF à s’en détacher, et que pensez-vous de son état actuel ?
Je pense qu’il faut remettre la NUPES dans son contexte. C’est une alliance électorale pour les législatives formée dans le but de faire élire un maximum de députés de gauche. Si cela a donné un effet sur les élus qui partagent des discussions, pour moi la NUPES s’arrête là, même si un accord favorisant la discussion peut exister à l’assemblée.
Ce n’est ainsi pas un mouvement ni un parti politique, malgré la volonté de certains. La NUPES n’a donc pas gagné et elle se heurte aujourd’hui à un plafond de verre qui se chiffre environ à 25%, le score qu’elle ferait aux élections européennes. Elle n’incarne donc pas l’espoir et est au contraire une étiquette repoussante pour une partie des français. Elle n’est pas un accord mais une acquisition de LFI et de Jean-Luc Mélenchon. Pourtant il encourage un clivage qui dessert la cause et met la NUPES dans une impasse.
Nous devons alors créer autre chose, sans les liens avec les autres partis de gauche qui portent naturellement des opinions différentes. Ainsi nos décisions sur le nucléaire, l’agriculture ou les grands projets pour l’environnement doivent être comme les autres portées aux Françaises et aux Français. Nous ne sommes cependant pas adversaires et nous devons fonder un cadre commun de respect et de débat pour ne pas tomber dans les bassesses de certains politiques. Je souhaite donc incarner un rassemblement de forces politiques de la gauche autour d’un discours qui va au-delà du Parti Communiste Français (PCF), une gauche universaliste, républicaine, sociale, qui remet le travail au centre du débat. Je souhaite pendant ma campagne pouvoir démarcher des anciens socialistes, insoumis, représentants syndicaux ou associatifs qui se retrouvent dans le discours que nous portons.
Pourquoi le PCF a-t-il décidé de mener une candidature solitaire qui semble pouvoir limiter les chances d’atteindre les 5% ?
Il existe deux vertus à des listes de gauche séparées :
Premièrement, nous avons des différences programmatiques, surtout sur la question européenne qui avait fait grandement débat lors de la création du programme commun de la NUPES. Entre les écologistes très fédéralistes qui souhaitent une plus grande intégration européenne et nous qui portons la voix d’une coopération européenne qui respecte la souveraineté des peuples, chacun doit pouvoir présenter ses propositions. Ces différences prennent corps sur des projets concrets, comme sur la question énergétique où nous soutenons la sortie du marché spéculatif de l’énergie, à l’inverse des écologistes. Nous sommes aussi les seuls à gauche à soutenir le nucléaire ainsi que le projet Lyon-Turin qui permettrait de limiter le nombre de camions. Je souhaite donc qu’avec ces différences nous puissions chacun porter nos éléments programmatiques aux Françaises et Français. Deuxièmement, les élections européennes étant des élections proportionnelles, toutes les listes dépassant les 5% ont des élus européens. Ainsi, il vaut mieux d’un point de vue purement stratégique que plusieurs listes de gauche dépassent les 5% car cela peut permettre d’augmenter le nombre de députés de gauche d’environ dix sièges selon les sondages par rapport à une liste unique, passant d’environ 25 députés à 35 ou 36.
Ce que je dis à mes partenaires de gauche c’est qu’on gagnera cette élection à la condition de faire perdre des sièges à la droite et à l’extrême droite.
Là doit être notre ambition. Le résultat des élections n’est pas le score de la première liste mais le nombre de sièges et l’endroit où ils sont
attribués. Tout indique que nous devons présenter des listes différentes sur le plan programmatique comme stratégique, à condition qu’on ne tombe pas
dans l’invective, avec une sorte de pacte de non-agression.
N’avez-vous pas peur que cette division empêche certaines listes d’atteindre les 5% ?
Je pense que si chacune des listes porte son projet avec cohérence, nous sommes chacun en capacité d’augmenter le nombre de députés. Nous devons
aussi porter un discours clair à nos électeurs et nous voulons aller chercher des électeurs qui voteront pour nous mais pas pour une liste NUPES. Le fait que Fabien Roussel soit la personnalité politique de gauche préférée des français démontre que nous pouvons aller chercher des électeurs que Jean-Luc Mélenchon, par exemple, n’a pas été capable d’aller chercher.
Quelle est votre vision de l’Union Européenne aujourd’hui et quels changements souhaiteriez-vous y adopter ?
L’Union Européenne aujourd’hui a une bien piètre image auprès des Françaises et Français, surtout des jeunes, avec 52% d’entre eux qui ne lui font
pas confiance. Et moi non plus. Elle a été constituée sur des dogmes néo-libéraux imposant des politiques austéritaires, un marché spéculatif de l’énergie, des traités de libre échange qui ont pour conséquence une fuite en avant de notre industrie et une perte de notre souveraineté alimentaire.
Aujourd’hui, nous devons donc refonder une Europe qui respecte la souveraineté des peuples qui en sont issus. Elle doit aussi être un levier de coopération à l’échelle régionale sur des modèles industriels. Par exemple, nous pourrions engager sur le modèle d'airbus un chantier de production de produits pharmaceutiques, aujourd'hui développés aux États-Unis et produits en Inde, dont nous sommes dépendants. Cela est aussi vrai pour le cas du nucléaire. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, l’Europe doit aussi investir massivement, notamment dans le fret ferroviaire et dans d'autres services, pour qu'elle ne réponde pas à une logique néo-libérale et austéritaire mais qu’elle soit un levier du développement de services publics pour répondre aux impératifs environnementaux et sociaux.
Quel rôle peuvent jouer selon vous les députés européens de gauche face à une montée en puissance de l’extrême droite aujourd’hui ?
Au niveau européen, bien sûr, il y aura des batailles parlementaires fortes, mais je pense qu’aujourd’hui, la bataille se fait dans les campagnes électorales, avec un besoin de déconstruire un mythe autour de l’idée d’un Rassemblement National comme parti des travailleurs. Certes, ils doivent évidemment être attaqués sur leurs idées xénophobes, ce que l’on fait, mais il faut aussi déconstruire l’idée qu’ils défendent les travailleurs, ce que je ne cesserai pas d’affirmer. Le RN a voté contre l’augmentation du SMIC, contre l'impôt de solidarité sur la fortune, contre une loi visant à limiter le nombre de déserts médicaux. Il ne défend pas les classes populaires, celles et ceux qui vivent en périphérie des grandes métropoles. Il dit défendre les agriculteurs en voulant sortir de la PAC, qui doit en effet être repensée mais surtout pas supprimée car indispensable à la survie des petites exploitations. Je trouve que le RN sur ce point est assez épargné, alors que c’est un parti anti-social. Ils ne remettent pas en cause la politique de Macron, ce qui fait qu’ils sont non seulement d’extrême droite mais aussi de droite, ce que l'on a tendance à oublier. C’est pourquoi certains travailleurs tombent dans le panneau et pensent être défendus. Aujourd’hui, nous devons incarner une gauche capable de remettre le travail au centre du projet politique et c’est comme ça que nous les ferons reculer. Nous devrions pour cela nous inspirer de l’Espagne, où l’extrême droite est repoussée, ou de l'Allemagne avec des partis qui prennent des lois à l’AFD.
Quel rôle peut selon vous jouer l'Europe en tant qu’institution dans des conflits, comme en Ukraine et en Palestine ?
Depuis toujours on m’a dit : “l’Europe c’est la paix”. L’Europe s’est construite sur les ruines des deux guerres mondiales, et pourtant je vois qu’aujourd’hui elle est incapable de porter un traité de paix entre la Russie et l’Ukraine, incapable de demander un cessez-le-feu à Gaza, de condamner fermement le régime azéri face à ce qui a lieu dans le Haut-Karabagh. Je souhaite donc que l’UE revienne à ses racines et fondamentaux avec ses ambitions, notamment celle de la paix. Elle ne le peut pas en tombant dans des jeux d’alliances, comme la dépendance envers le gaz azéri, ou l'alignement sur la ligne de l’OTAN dans une logique de blocs dépassée. La capacité à proposer par exemple un cessez-le-feu à Gaza serait donc un préalable à toute diplomatie, française comme européenne. Je pense que l’UE a un impact à avoir sur la scène internationale et que celui-ci doit être un discours de paix. L’Europe, et la France derrière en tant que membre permanent au conseil de sécurité de l'ONU et pays important écouté à l’international, doit porter une voix de paix comme elle l’a fait par le passé et porter des projets de cessez-le-feu à Gaza et entre l’Ukraine et la Russie.
En tant que jeune personnalité politique, avez-vous l’impression d’être pour cela moins écouté ?
Non je ne pense pas. Au contraire j’ai l’impression que cela fait l’effet inverse, que cela peut me donner un levier pour porter mon discours. Cependant, la jeunesse n’est pas une classe sociale à part entière aujourd’hui, c’est une voix politique. Je suis persuadé qu’aujourd’hui la politique, et encore plus l’Europe se meurt sur le court terme. Il faut la réfléchir sur le temps long. Ma jeunesse me permet donc de réfléchir à une Europe d’avenir, une Europe dans laquelle moi, mes amis, ma génération et celles d'après allons vivre dans les prochaines décennies. Moi, je vais profiter d'être jeune pour porter ce discours-là, parce que c’est l’Europe dans laquelle je vais vivre. Aujourd’hui les jeunes n’ont pas confiance en l’Europe, une raison de plus pour discuter d’une Union Européenne d’avenir en laquelle ils auraient confiance. Maintenant, la politique est un monde de vieux roublards qui essayent de se légitimer en permanence mais j’ai un parti solide qui me soutient avec un ancien candidat à la présidentielle pour m’épauler. Il faut le savoir quand on est jeune, cela fait partie du boulot.
Aujourd’hui la France connaît une crise de la participation aux élections, et d’autant plus aux Européennes, que faudrait-il selon vous faire pour essayer d’y remédier ?
Le problème c’est que tout est fait dans les institutions européennes pour que les Français s’en désintéressent. Tout est fait en catimini et la Commission Européenne, l'organe décisionnel le plus fort à mon sens, est formé de commissaires nommés et non élus. Le Parlement européen a en fait peu de pouvoir et tout est fait pour qu'on laisse la Commission Européenne prendre les décisions. Maintenant, l’enjeu est de faire des questions européennes des sujets d’actualité pendant cette campagne.
En réalité, toutes les décisions prises par les institutions européennes ont un effet sur notre quotidien. Énormément de sujets de notre quotidien sont liés à l’Europe : le manque de personnels dans l’enseignement public, le manque de moyens de l’hôpital. Il faut réussir à montrer aux Français que ces politiques austéritaires débouchent de décisions prises par le parlement et la commission de l’UE. L’enjeu de la campagne est aussi de rendre plus “sexy” le parlement européen et les décisions qui y sont
prises, c’est pourquoi nous sommes partis en campagne tôt.
Propos recueillis par Robinson Calle, Matthieu Durand et Aurèle Tremblay, le 1er novembre 2023.