En Allemagne, l'AfD divise plus que jamais après plusieurs scandales qui entachent sa réputation
Des manifestants contre l’extrême droite rassemblés devant le palais du Reichstag, à Berlin, en Allemagne, dimanche 21 janvier.
Ce mois de janvier 2024, beaucoup d’images ont circulé sur lesquelles on pouvait voir de nombreux manifestants en Allemagne, portant notamment des pancartes où l’on lisait des slogans comme “Stop AfD” ou “no nazis”. Au total plus d’1,5 millions d’Allemands ont manifesté sur plusieurs jours, contre l’AfD, le parti d’extrême droite le plus influent en Allemagne.
Moi, en voyant ça, je me suis demandé pourquoi. Pourquoi tous ces Allemands dans la rue alors que nous, avec notre RN issu pourtant d’ancien Waffen SS et de collaborationnistes, nous nous cantonnons à voter “barrage” quand nous le voyons atteindre 41% au second tour de nos élections présidentielles ? Mais surtout qu’est-ce que l’AfD, qui fait tant parler ?
Pour répondre à cela, je vais d’abord revenir en 2013, quand deux anciens membres du parti de droite le plus puissant d’Allemagne, la CDU, décident de fonder l’Alternative für Deutschland, l’AfD. Le nouveau parti se fonde d’abord sur un rejet de l’euro, après la crise de la dette des années 2010. Il est donc caractérisé par un nationalisme et un euroscepticisme modéré, portant un discours ultra libéraliste.
S’il crée la surprise dès l’année de sa fondation en manquant de peu d’entrer au Bundestag (parlement en Allemagne), c’est en 2015 avec la crise de l’immigration qu’il connaît un basculement. En effet, lorsque l’Allemagne se porte garante de plus d’1,2 million des millions d’immigrés qui entrent en Union Européenne, la décision ne plaît pas à tous. L’AfD se radicalise alors peu à peu, présentant un corpus d’idées combinant positions anti-immigration et anti-islam avec une pensée de l’ultralibéralisme.
Disposant alors d’une adhésion à ces idées, le parti qui était déjà entré en 2014 au parlement européen entre au Bundestag avec 12,6 % des voix et 94 députés, devenant le troisième parti du pays en nombre de députés.
Cependant, le parti commence vite à attirer l’attention en développant un discours antisystème, comme le fait un Donald Trump aux États-Unis. Il remet notamment en cause la politique mémorielle de l’Allemagne qui s’est reconstruite sur le rejet du nazisme, qualifiant celui-ci de “chiure d’oiseau” dans l’histoire du pays. Dans le même temps, il se rapproche de mouvances étudiantes d’extrême droite parfois affiliées au néo-nazisme. Le plus jeune élu de l’AfD, Daniel Halemba s’est vu d’ailleurs retirer son immunité parlementaire après que de nombreuses armes et signes distinctifs nazis aient été retrouvés dans les locaux de la fraternité Teutonia Prag, à laquelle il appartient.
Le parti est en fait entaché par de nombreux scandales qui, même s’ils servent sa position de victime d’un système qui l’empêche de s’exprimer, commencent à effriter sa position.
En 2024, alors que le parti sortait d’une année de victoires électorales, il subit successivement plusieurs scandales. En janvier, ce sont les révélations du média “Correctiv” qui ont poussé les larges manifestations dont on a tous entendu parler.
En effet, le média a révélé qu’une réunion a été organisée en novembre 2023 à Potsdam, où se sont retrouvés les cadres du parti ainsi que des membres de la mouvance néonazie, notamment Martin Sellner, chef d’un mouvement identitaire autrichien. Dans cette réunion pour certains trop proche de la conférence de Wannsee, autant dans son contenu que dans son organisation, seulement à quelques kilomètres de cette dernière, les participants ont évoqué un plan de “remigration”, soit l’expulsion de millions d’étrangers et allemands jugés “mal intégrés”. Ces révélations ont causé une onde de choc mais les dirigeants de l’AfD ont nié partager ces idées, présentées par le jeune autrichien présent, et affirment avoir “la volonté de réglementer l’immigration pour qu’elle soit utile”.
Si ce scandale a fait grand bruit il y a quelques mois, le parti est maintenant englué dans une autre affaire, autrement préoccupante et concernant une autre échelle. En effet, successivement, les deux têtes de liste de l’AfD pour les élections européennes, P. Byrston et M. Krah ont été accusées respectivement de corruption par le régime de V. Poutine afin de diffuser de la propagande pro kremlin sur le média Voice of Europe dans un contexte de guerre aux portes de l’Europe, et de complicité d’espionnage quand un proche collaborateur de M. Krah a été arrêté pour avoir diffusé des informations au gouvernement chinois.
Si j’ai mentionné que la popularité du parti a été effritée par ces scandales, c’est parce que les intentions de vote pour l’AfD aux européennes sont passées de 23% en décembre 2023 à 18% aujourd’hui. Les Allemands semblent donc plus réticents à l’idée d’une montée de l’extrême droite que les Français, ce qui peut donc s’expliquer par le traumatisme d’un pays entier par l’événement qu’a été la seconde guerre mondiale, dont la mémoire encore aujourd’hui divise et influence les mentalités.
Le parti reste cependant même avec ces chiffres à la deuxième place des sondages, et le poids de l’extrême droite au parlement européen risque donc de devenir de plus en plus lourd, dans une UE où de plus en plus de pays semble se tourner vers elle, de l’Italie de Giorgia Meloni à la France de J. Bardella. Cet état de fait est d’autant plus alarmant que ces élections bien qu’elles soient déterminantes pour plusieurs aspects de la vie de chacun en UE sont très largement ignorées, comptabilisant presque 50% d’abstention en 2019 en France (73% chez les 18-24 ans d’après l’Ifop), ce qui facilite le jeu de l’extrême droite, aujourd’hui comptabilisant 32% d’intentions de votes en France par exemple.
L’Union Européenne semble donc aujourd’hui plus éloignée que jamais de ses citoyens, notamment à cause du manque de communication quant à ses actions et du faible pouvoir du parlement, seul corps élu, face à une commission européenne nommée dont le poids est plus lourd. L’organe qui pourtant est censé veiller à la paix dans le vieux continent est donc aujourd’hui menacé, et divise de plus en plus dans un monde où pourtant, l’union est plus que jamais nécessaire pour affronter les dangers de demain.
Aurèle Tremblay